Il fut un temps – pas si lointain – où réussir sa vie consistait à
développer sa capacité à renoncer à se satisfaire pour gagner une vie éternelle
après la mort. Aujourd’hui, c’est tout le contraire ! On considère qu’a le
mieux réussi sa vie celui qui s’est donné les plus grandes capacités à se
satisfaire. On est passé d’une société ascétique à une société hédoniste – c’est-à-dire
à une société du plaisir. Mais ce mot « plaisir » apparaît alors
indéfiniment extensible tant il est utilisé à tout propos pour désigner
l’obtention d’un état de satisfaction. Ce qui engendre la plus grande
confusion.
Or, peut-on se permettre une telle confusion lorsqu’il s’agit de nommer
la valeur cardinale qui est censée orienter notre vie ?
C’est pourquoi notre réflexion va d’abord s’attacher à dégager le
sentiment de joie du magma des satisfactions actuellement englobées sous le
vocable de plaisir.
Que signifie être joyeux ? N’est-ce pas un sentiment aux caractères
très spécifiques et étonnants ? Ne dessine-t-il pas en retour une notion du
plaisir précise et cohérente à laquelle il s’oppose ? Que poursuit alors
notre société ? La joie ? Le plaisir ?
C’est-à ce stade que la question – La joie peut-elle être le guide
de notre vie ? – prend vraiment sens. Car il apparaît que mettre la joie
au pinacle des valeurs implique la vision d’une certaine situation de l’homme
dans le monde, vision que l’on voit rigoureusement élaborée dans la philosophie
de Spinoza.
En nous appuyant sur cette pensée, peut-être une réflexion sur la joie
nous apportera-t-elle un heureux décentrement par rapport aux préoccupations
contemporaines ?
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Lectures
indicatives :
Clément
Rosset, La force majeure, éd De
Minuit, particulièrement pp. 1 à 30.
B.
Spinoza, Éthique, troisième partie.
Pierre-Jean Dessertine