Présentation par Martin Videcoq
"La fin du monde : croyance ou déraison ?"
Cet intitulé veut ouvrir au problème : L’affirmation qu’adviendra un évènement « fin du monde » n’est-elle qu’absence de raison ou bien exprime-t-elle une croyance légitime ?
Cet intitulé veut ouvrir au problème : L’affirmation qu’adviendra un évènement « fin du monde » n’est-elle qu’absence de raison ou bien exprime-t-elle une croyance légitime ?
Qu’est-ce qu’une croyance ? C’est un savoir qu’on
adopte alors même qu’il est insuffisamment justifié objectivement.
D’emblée, l’orateur s’appuie sur Kant pour
justifier la croyance en la fin du monde. Ce dernier, à la fin du XVIII°
siècle, a en effet écrit un petit texte – « La
fin de toutes choses » en lequel il montre que la croyance en un
événement « fin du monde », à la fois catastrophique et rédempteur,
est requise par la raison pour donner sens à l’histoire humaine, pleine de
violences et de folies, qui sans cela resterait absurde.
Ce point d’appui sur Kant permet à l’intervenant
de généraliser son propos au problème de la place et de la valeur de la
croyance dans la culture.
Selon lui, le mythe de « la fin du
monde » est un bon exemple pour analyser le concept de croyance, car il questionne les grands mystères de la vie, le sens de l’Histoire, la direction du
temps, le problème de la mort et les rapports de l’homme avec Dieu.
Mais pourquoi l’homme a-t-il besoin de croire ?
En déclinant les rapports de la croyance avec la vérité, avec la raison et la
connaissance, mais aussi avec le désir et l’action, l’intervenant dégage deux
types de croyance :
La croyance rationnelle, c’est-à-dire la
croyance pour laquelle la raison apporte suffisamment de preuves pour lui
donner une place nécessaire dans l’ensemble des savoirs qui composent la
culture humaine.
La croyance rationnelle s’oppose à la croyance
illusoire qui tient pour vrai ce qu’elle affirme, alors même qu’elle est
incapable d’apporter des preuves suffisantes pour le faire partager.
L’intervenant montre alors, de manière audacieuse
mais néanmoins cohérente, que la plupart des savoirs reconnus sont des
croyances rationnelles. Cela est vrai en particulier des sciences, qui, malgré
leur prétention à la rationalité transparente, doivent reconnaître qu’elle sont
limitées :
– Par le caractère paradoxal du principe
d’incertitude qui régit les phénomènes infra-atomiques ;
– Par les théorèmes d’incomplétude de Gödel qui
montrent qu’une théorie (mathématique, physique ou autre), ne peut jamais être
totalement complète et non contradictoire ;
– Par le principe de réfutabilité de Popper, désormais
accepté par les scientifiques, selon lequel une théorie n’est reconnue vraie
que provisoirement, en attendant qu’une expérimentation l’ait mise en défaut
(réfutée).
"La connaissance est une croyance, réfutable, mais non réfutée, justifiée par suffisamment de preuves"
"La connaissance est une croyance, réfutable, mais non réfutée, justifiée par suffisamment de preuves"
Voilà donc trois fortes raisons qui montrent que
l’adhésion aux théories scientifiques relève de la croyance rationnelle.
L’intervenant rappelle par ailleurs que,
constamment dans la vie pratique, nous nous appuyons sur des croyances
rationnelles car nous sommes amenés à prendre des décisions qui ne peuvent être
rigoureusement fondées. Nous ne pouvons, à chaque instant, remonter jusqu’aux
« preuves suffisantes » qui feraient de nos croyances des savoirs. Il
nous faut faire confiance pour agir !
Mais cela va plus loin. Sollicitant le sociologue
Gustave
Le Bon (1831-1941), l’orateur montre que, constamment, est à l’œuvre une
logique de la croyance qui impose, dans la société, des croyances partagées qui
s’étendent à l’ensemble des domaines du savoir, se jouant de l’autonomie de
pensée des individus. Ce sont sur ces croyances que se contruisent le sens et
le ciment des sociétés humaines.
En outre les croyances, modelées sur nos
représentations du monde, doivent évoluer avec elles. Les seules vraies
révolution sont celles qui renouvellent les croyances fondamentales des
peuples.
Et pour éviter de retomber dans l’esclavage des
dogmes, ce renouvellement du sens par les croyances ne doit-il pas se faire
sous l’œil critique de la raison, sous la critique de la philosophie ?
Débat
Les questions ont porté surtout sur cette notion
de croyance rationnelle, et la portée générale que lui a donné l’orateur. Cela
a amené à mettre l’accent sur la valeur de la raison comme fondement objectif
du savoir par rapport à la croyance. Deux arguments importants sont apparus en
ce sens :
– La reproductibilité de l’expérimentation qui le
fonde dans la science contemporaine, apporte une objectivité à l’énoncé
scientifique qui rend problématique l’utilisation de la notion de croyance à
son propos ;
– la reconnaissance qu’il y a une dimension de
croyance dans la science se fait au moyen de la raison, donc c’est bien la
raison qui a le dernier mot pour évaluer la croyance.
Dès lors quelques questions ont permis
d’approfondir cette notion de croyance. On a mis ainsi en évidence son
arrière-plan émotionnel – la peur, la violence, le pouvoir, l’amour, le désir –
, comme son rôle logique – elle seule donne accès aux premiers principes qui
fondent tout raisonnement.
Bilan
L’exposé, solide et riche, était clairement
orienté vers une valorisation de la croyance au sein du savoir. Ce parti pris a
stimulé un débat très intéressant entre les tenants d’une omniprésence de la
croyance, et les défenseurs d’une supériorité de la raison. C’est là un très
vieux débat de la philosophie – voir l’opposition Platon/sophistes – mais qui,
à cette occasion, grâce à l’impulsion de l’intervenant, a été renouvelé en
prenant appui sur les sciences contemporaines. Il n’a certes pas été conclu.
Mais on peut supposer que chaque participant en est reparti avec un peu plus de
lucidité sur ses croyances, ce qu’elles peuvent, et ce qu’elles ne peuvent pas.
http://seulsdanslecosmos.hautetfort.com/archive/2013/01/11/la-fin-du-monde-croyance-ou-derai.html
Pierre-Jean Dessertine et Martin Videcoq